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LieTesRatures JeNaisse
12 février 2008

matin brun

Le phénomène Matin brun

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Un euro et une douzaine de pages... Une description du totalitarisme par un auteur franco-bulgare qui a renoncé à ses droits (ainsi que l'éditeur) afin de permettre une large diffusion de cet ouvrage pour que ce fléau ne reste pas anodin !


cheyne


Comment une nouvelle de douze pages publiée en 1998 par un éditeur de poésie est devenue un best-seller en 2002


CHAMBON-SUR-LIGNON
(Haute-Loire)
de notre envoyé spécial


Les chiens aboient sur le plateau couvert de neige du Chambon-sur-Lignon. C'est dans cette campagne austère de Haute-Loire, à l'ombre du Mézenc, qu'est né le livre français le plus lu de l'année 2002 (232 200 exemplaires, selon Ipsos-Livres Hebdo): Matin brun, de Franck Pavloff,une nouvelle de douze pages, vendue 1 euro. Le succès de Matin brun semble improbable. Comment un texte publié en 1998, par un éditeur de poésie, Cheyne, qui fait son métier en artisan, est-il devenu un best-seller ?
Le texte est simple, efficace. Pas de commentaires (« C'est aussi un texte sur l'échec du discours politique », explique Franck Pavloff), juste une façon de montrer où peut conduire la peur et l'absence de révolte. Deux hommes ordinaires assistent, en refusant de s'inquiéter, à la mise en place d'un Etat brun. Insensiblement, tout prend cette couleur : chat, chien, journaux. Franck Pavloff l'a écrit au moment des élections régionales de 1998, quand des élus de droite se sont alliés avec ceux du Front national. La nouvelle est d'abord publiée dans un recueil, chez Actes Sud, pour le Salon du livre antifasciste de Gardanne.
Matin brun aurait pu passer inaperçu. Auteur de romans noirs et de livres pour la jeunesse, Franck Pavloff va souvent dans les écoles. Il va régulièrement au Collège cévenol du Chambon-sur-Lignon, où il a fait ses études. Jean-François Manier, (éditeur de Cheyne, vient en voisin. Lui aussi se demande comment faire face à l’extrême droite. Pavloff lui donne son texte. Jean-François Manier hésite sur la forme et la commercialisation. Il songe à une coédition, à le faire offrir gratuitement par les libraires. Un livre à 10 francs ? Il le lance finalement à 1 euro, en 1998, alors que la monnaie européenne n'est pas en circulation.
Les 10 000 exemplaires du premier tirage se vendent bien. Le livre est à 20 000 avant le choc du 21 avril 2002. Le lendemain, Jean-François Manier renvoie quelques exemplaires. A France-Inter, Vincent Josse le reçoit. Lui aussi se demande « comment parler du FN, sans faire d'éditorial ». Le jour où Jean-Marie Le Pen est l'invité de la rédaction, Josse décrit le terrible programme culturel du FN et termine en parlant de la nouvelle. Ce jour-là, Franck Pavloff est en voiture près de Lyon. II appelle Jean-François Manier, qui lui explique que téléphones et fax n'arrêtent pas.
Le phénomène Matin brun a commencé (Le Monde du 5 juin 2002).
« Un réseau d'amitiés s'est constitué autour du livre », explique Franck Pavloff. Vincent Josse a l’idée d'un disque, contacte Jacques Bonnaffé et Denis Podalydès pour interpréter le texte. Enki Bilal l’illustre.
Radio France sort le disque fin novembre, reparle abondamment du livre. Le CD se vend à 60 000 exemplaires, mais le livre s'arrache: 80 000 exemplaires pour la seule semaine de Noël ! Les gens en achètent plusieurs exemplaires, pour l’offrir, et font ainsi circuler le livre, qui est toujours en tête des ventes : 156 400 exemplaires ont été vendus en janvier et février, selon les estimations d'Ipsos. Mais Cheyne n'est pas vraiment un éditeur de best-sellers. En vingt ans, Jean-François Manier et Martine Mellinette ont constitué un catalogue de 200 titres qui se sont vendus au total à 200 000 exemplaires. La maison publie de la poésie (Jean-Pierre Siméon, Jean- Marie Barnaud), et défend une conception exigeante du métier. Elle assure elle-même la diffusion et la distribution des livres composés et imprimés sur place, au plomb, dans leur atelier, avec sa Linotype ou sa couseuse.
L'éditeur-artisan se trouve soudain plongé dans l’industrie de l'édition. Il voit cela de son lieu-dit, une ancienne école isolée, entourée de quelques fermes. C'est de là que partent les paquets, qu'ils font eux-mêmes - ils sont désormais sept à travailler. Le facteur du Chambon vient les chercher, pour sa tournée de midi. Au plus fort des envois, il revenait en fin d'après-midi.
« On fait très attention à maîtriser ce phénomène. On pourrait faire une vingtaine de titres par an, au lieu de douze. Des libraires fidèles nous appellent Ils sont inquiets des conséquences de ce succès », explique Jean-François Manier. Il a beaucoup réfléchi à la chaîne du livre. Il aime faire l’éloge de la lenteur et du mûrissement. Il regarde le phénomène, flatté et amusé. Hachette jeunesse et Pocket avaient envie de reprendre le texte. Il leur a fait remarquer que cela ferait « un livre de poche plus cher que l'édition première ». Il a refusé d'accorder à Auchan une remise supérieure à celle des autres libraires. Idem pour Relay.
Franck Pavloff, lui aussi, s'amuse de ce « pied de nez aux grandes structures ». Ses autres livres profitent du succès. Il continue d'aller dans les écoles, trois jours par semaine. Les élèves parlent de la responsabilité, du silence, du racket et du poids de l’extrême droite. Il constate : « Depuis le 21 avril, ce n'est pas retombé. »Ce succès en est un signe.


Alain Salles, Le Monde, vendredi 7 mars 2003


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